Mederic Turay : L’homme qui peint la mémoire du silence

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Il peint comme on écrit un poème oublié. Ses toiles sont des cris muets, des souvenirs debout. Dans son atelier, entre Abidjan, Paris ou Marrakech, Mederic Turay traque la trace. Pas celle qu’on laisse, non, celle qu’on retrouve. Rencontre avec un peintre-chercheur, à l’écoute du silence.

Je ne l’ai pas rencontré. Pas encore. Mais ses œuvres, elles, m’ont prise de court, à travers un écran, sur LinkedIn.
Une publication, puis une autre, et cette impression tenace que quelque chose en moi se souvenait déjà.
Couleurs, textures, formes brutes. Un langage à la fois ancien et immédiat.

Je ne savais pas ce que je regardais exactement, mais je savais que j’y étais sensible. Et que je voulais en savoir plus.
Alors j’ai tendu la main, comme on écrit une lettre à un inconnu dont on devine l’âme familière.
Il a répondu. Le reste, tu es en train de le lire…

À hauteur d’enfant, à hauteur d’âme

Quand on rencontre un artiste, on commence souvent par lui demander ce qu’il fait.
C’est une question banale, presque administrative. Mais chez certains, elle déclenche autre chose.
Une fêlure, une poésie ou un décalage.. Mais chez Mederic, elle ouvre une porte.

À ceux qui lui demandent ce qu’il fait dans la vie, Mederic a deux réponses. L’une pour les petits, l’autre pour les grands.
La première est une promesse :

« Je fais des dessins magiques avec des formes bizarres, et je mets des secrets dans les couleurs. »

La seconde, plus grave, plus nue, tient presque de la confession : il est peintre, oui, mais surtout chercheur d’âme. Et peut-être que c’est ça, précisément, qui frappe dans ses œuvres.

« Mon travail, c’est de faire parler ce qui reste souvent silencieux.  »

Cette quête inlassable d’une voix étouffée qu’il tente, toile après toile, de réinscrire dans le visible.

TRACE : langue d’absence, langage de feu

Chercher une voix étouffée, c’est déjà toute une vie. Mais Mederic a voulu aller plus loin : créer un langage visuel pour dire ce que les mots ne savent pas dire. Ce langage, il l’a nommé TRACE.

Et c’est le cœur battant de son travail. Ce n’est pas une signature, c’est une méthode, un langage et même un vertige.
Il ne s’agit pas d’héritage, ni de vengeance, mais d’une excavation : celle de ce qui a été effacé, nié ou bien relégué.

Une archéologie de l’invisible, où chaque geste est un acte de mémoire. TRACE, c’est sa manière de poser des questions à ce qui ne parle plus, ou pas encore.

Il y convoque les symboles, les racines africaines, les formes premières. Un retour aux sources, mais sans nostalgie. Son art, profondément spirituel, n’est ni prière, ni transe, mais une présence extrême au monde :

« Ce n’est pas un rituel, non. Je dirais que c’est plutôt le fait d’être pleinement présent, un être humain entièrement concentré sur sa vision, sur son ambition, et sur sa manière de voir la vie. »

Une grammaire de symboles, une mémoire peinte à mains nues, où l’artiste devient passeur de fragments, assembleur de silences.

Et dans ces fragments, ce sont parfois des territoires qui apparaissent. Des cultures, des racines, des peuples,
comme si chaque trace appelait un totem. Et chaque totem, un territoire à reconstruire.

Entre totems et territoires

L’art de Mederic circule entre les continents. Il a exposé à Abidjan, Paris, Londres, Dakar. Et partout, une même question : comment lire ce qu’il peint ?

Car ses œuvres parlent un langage que l’on ne trouve pas dans les livres d’histoire de l’art occidentale.
C’est un langage de symboles, de silences, de matières. Une mémoire transmise plus que théorisée, une mémoire qui vient du corps, de la terre, du chant, des pierres.

Face à cela, l’Europe oscille : elle regarde avec fascination… mais souvent sans comprendre. Elle projette une image floue de l’Afrique, encore prisonnière de fantasmes, de clichés, de récits figés. Une Afrique trop belle, ou trop souffrante, mais rarement entière.

Alors Mederic répond. Non pas avec des discours, mais avec de la peinture. Il reconstruit une Afrique vivante, spirituelle, mouvante. Il invoque ce qu’il appelle « l’humain premier », celui qui précède les colonnes grecques, les cadres dorés, les dictionnaires. Celui dont la trace ne s’écrit pas à l’encre mais dans la poussière, la roche, la mémoire partagée.

À chaque tableau, il tente de retisser les liens. Entre les continents, entre les regards.
Mais aussi entre les morceaux de lui-même, dispersés à force d’avoir grandi entre deux mondes.

La couleur du jour, la mémoire qui vibre

Mederic Turay ne peint pas la perfection. Il peint la faillela vibrationle rythme d’un monde qu’on écoute trop peu.
Il se dit « journaliste artistique », à l’affût de ce qui ne se dit pas.

Et si certaines œuvres dérangent, tant mieux. L’art n’est pas là pour être aimable, il est là pour être vrai.
À ceux qui pensent qu’un tableau ne change rien, il répond :

« Un tableau peut libérer. Il peut libérer celui qui le crée… comme celui qui le regarde. »

Chaque geste est une ouverture. Chaque couleur, une émotion du jour.
Il peint ce qu’il ressent, pas ce qu’il prévoit.

« Je ne travaille pas avec une couleur imposée. Je peins la couleur du jour. Si je suis orange, c’est que l’orange a une raison. »

Et si ses toiles nous remuent, c’est peut-être parce qu’elles nous réveillent à ce que l’on tait trop souvent.
La mémoire qu’on croit enterrée… est parfois encore chaude sous la peau.

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Jeu sacré, passion vivante

Le jeu dans son travail n’est pas un décor : c’est une clef. Une manière de faire surgir la vérité sans l’imposer.

L’ironie, les symboles, les formes spontanées : tout est permis, tant que le feu reste intact.
S’il fallait résumer Mederic en une seule image, ce serait celle d’une passion en mouvement, jamais figée, jamais docile.

Tout cela n’est pas là pour détourner, mais pour révéler autrement. Il peint comme on glisse un double fond dans une boîte, pour que chacun y voie ce qu’il est prêt à voir. Parfois, il ne comprend pas lui-même certains signes qu’il trace, mais il les laisse surgir, parce qu’ils ont leur propre rythme, leur propre secret.

« Le jeu, pour moi, c’est sérieux. C’est même sacré. »

Et dans ce jeu sacré, une force revient toujours : la passion. Celle qui pousse à créer même quand personne ne regarde.
Celle qui brûle sans consumer.

« Si je suis une métaphore, je suis celle de la passion en mouvement. Pas figée, pas prévisible, mais vivante, brûlante, libre. »

Alors non, chez Mederic, rien n’est mis là au hasard. Pas même ce qui semble désinvolte. Car chaque détour est une vérité en costume. Et chaque œuvre, un miroir sans tain pour qui ose y plonger.

Marrakech, mémoire et autres futurs

Perdu dans ses toiles ? Il l’est parfois. Et c’est là, dit-il, que surgit l’essentiel.

Son prochain rendez-vous se tiendra à Marrakech, pour une grande exposition de fin d’année (à partir du 31 octobre 2025).
Il y racontera son lien profond avec ce territoire, ses détours intimes et ses résonances créatives.

« Un projet qui me tient à cœur, parce qu’il retrace un parcours, une relation profonde avec le Maroc, un pays qui m’a inspiré, bousculé, enrichi. »

Le Maroc, pour lui, n’est pas juste un territoire : c’est un miroir. Un endroit où ses formes trouvent une résonance, où ses couleurs trouvent une lumière, et où sa mémoire, celle qu’il traque toile après toile, semble vibrer autrement.

D’autres escales sont prévues : Genève, Dubaï, l’Europe.
Mais plus que des lieux, ce sont des points d’ancrage pour son projet ultime : transformer ce qu’il vit en matière vivante, et laisser ses œuvres parler à sa place, là où les mots se taisent.

Car Mederic ne se contente pas d’avancer. Il transforme ce qu’il vit en matière.
Il peint pour dire sans parler, pour se souvenir sans archiver, pour laisser au silence une voix picturale.

Et c’est peut-être ça, au fond, son plus grand projet :
faire de chaque œuvre une trace vivante, et de chaque trace, un monde à habiter.

MEDERIC TURAY
Artiste contemporain

Instagram : @mederic.turay
Facebook : @mederic.turay
LinkedIn : @mederic.turay

Découvre aussi, Arnaud TRA BI : Producteur de regards, bâtisseur de mémoire.

Paroles de renard. 🦊

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